L'art sur le pavé : art ou vandalisme ?L’affaire Roadsworth par Caroline ROY
Roadsworth a peint au pochoir des vignes, des hiboux, des bougies d’anniversaire sur les voies publiques de Montréal. En retour, il a été accusé de vandalisme. Depuis quelques semaines, le milieu artistique et les médias défendent ses dessins. La valeur artistique de ses créations saura-t-elle vraiment lui venir en aide lors de son procès prévu en mars prochain?
Roadsworth, de son vrai nom Peter Gibson, a dessiné quelque 120 fois sur les rues du centre-ville et du Mile-End. Le 29 novembre dernier, il a cessé son activité artistique. Des policiers l’ont arrêté à son appartement où ils ont saisi au passage son ordinateur et son matériel d’artiste.
Détenu pendant une quinzaine d’heures, Roadsworth est sorti de prison avec 53 chefs d’accusation pour méfait sur la voie publique. Il fait face à une amende estimée entre 10 000$ et 250 000$ et risque de se voir coller un dossier criminel.
Zeke, un galeriste du boulevard Saint-Laurent, est le principal organisateur du mouvement de protestation contre l’arrestation de Roadsworth. «Je n’aime pas une ville où les artistes sont arrêtés. Lorsqu’il s’agit de vandalisme, il est clair qu’une punition convient. Quand c’est de l’art, ça ne convient pas», clame Zeke, pour confirmer son appui à la cause de son camarade. Mais est-ce aussi simple que semble le penser Zeke?
Évacuer l’art du procèsInterrogé sur l’affaire Roadsworth, Karim Benyekhlef, professeur au Centre de recherche en droit public de l’UdeM, avoue d’abord qu’il apprécie les dessins de l’artiste. Cependant, il affirme que l’esthétisme de l’œuvre possède peu de pertinence dans l’évaluation de son cas.
M. Benyekhlef explique que le droit anglo-saxon se veut neutre. Cette neutralité empêche les accusés de justifier leurs actions criminelles par leur caractère artistique ou politique.
Il ajoute qu’en droit criminel, seuls l’acte et l’intention comptent pour juger de la culpabilité de l’accusé. Le mobile – artistique dans le cas de Roadsworth – importe peu. Seule l’action d’avoir peint des motifs sur la voie publique compte. En effet, l’article 430 du Code criminel du Canada condamne la modification d’un bien public. Roadsworth commence souvent ses dessins en utilisant les lignes de signalisation sur les routes.
Selon M. Benyekhlef, l’artiste invoquera la liberté d’expression pour sa défense. Une accusation de méfait serait donc inconstitutionnelle étant donné la liberté d’expression dont il peut jouir. Malgré tout, «ses chances sont assez minces», croit le professeur Benyekhlef. La liberté d’expression est permise jusqu’à une limite raisonnable. Le juge va se demander s’il est possible de contrôler la valeur artistique pour permettre un certain type d’art urbain. «Mais qui va juger de la valeur artistique? Quelle sera la limite pour tous ceux qui voudraient utiliser ainsi l’espace public?» questionne M. Benyekhlef.
La beauté pour adoucir sa peineRoadsworth pourra quand même souligner la qualité de ses dessins pour adoucir sa sentence. Après tout, le public semble y voir un embellissement urbain et non un danger pour sa sécurité. Il ne propage ainsi aucun message violent ou raciste. Le galeriste Zeke pense que l’arrestation et le procès éventuel de son ami constituent un excès de zèle des policiers. Il y voit un bon coup pour promouvoir la carrière de ces derniers.
À l’appui, Zeke rappelle une situation similaire où un artiste du nom de Maclean avait caché les lettres r et ê des panneaux d’arrêt pour faire le mot art. Après discussion, les policiers avaient relâché Maclean en lui faisant promettre de ne pas recommencer. Zeke rapporte cet autre cas où une personne a reçu une amende de 50 000$ avec l’obligation d’effectuer 300 heures de travaux communautaires et l’interdiction de circuler à Montréal pendant cinq ans. D’après Zeke, cet individu aurait barbouillé son nom dans des vitrines de magasins.
Dans une rare entrevue accordée au journal The Gazette, Roadsworth avoue que son but «était de soulever des questions sur la différence entre les formes de communication acceptées et celles qui ne le sont pas. Qui a la permission d’utiliser l’espace public et pourquoi?» demande-t-il.
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